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Management

En temps de crise(s), les entreprises face à leur responsabilité sociétale.

Sharing Lunch #2 - Des dirigeants en partage

Le 3 juin dernier, CEPI Management organisait, avec Boost Us, un deuxième « Sharing Lunch » au Manoir de Marcq-en-Barœul. Réunis à l’occasion d’un déjeuner informel, quatre dirigeants des secteurs du transport, de la santé, de la coiffure et du logement social, ont échangé sur la responsabilité sociétale de leurs entreprises en temps de crise(s). Empreints d’optimisme, de sincérité et d’une grande lucidité, ces échanges ont fait naître un sentiment d’urgence, celui d’agir ensemble.

En 2020, la pandémie de Covid-19 a bouleversé nos vies et notre économie, et la crise qui l’a accompagnée n’est pas terminée. Deux ans plus tard, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une onde de choc partout dans le monde : la croissance est en baisse, l’inflation est en hausse, le pouvoir d’achat est en berne. Face à ce déferlement de nouvelles crises, quelle est la responsabilité des entreprises ? Peuvent-elles, et doivent-elles, se positionner comme des acteurs sociétaux à part entière ? Éric Gourdin, Directeur Général Adjoint de CEPI Management et Quentin Druart de chez Boost Us, sont entrés d’emblée dans le vif du sujet, suscitant l’intérêt immédiat des dirigeants invités, tous très conscients que quand une crise s’ajoute à une autre, les défis à affronter sont toujours plus grands.

La valeur « temps », temps court versus temps long

Arnaud Delannay, Directeur Général du groupe Notre Logis 3F, pointe deux types de crises, les crises structurelles (le réchauffement climatique, par exemple) et les crises conjoncturelles (l’inflation). « Une réponse structurelle n’est pas toujours une réponse conjoncturelle. Mais quelle que soit la crise, nous sommes forcément impactés dans tous les pores de nos métiers, et nos salariés les premiers. Une entreprise qui vit dans un système autocentré, se croyant invincible, risque d’être confrontée à une perte de sens, une crise de confiance, et au-delà, l’échec de son modèle ». Pour d’autres, la question est déjà « réglée » puisqu’à l’instar du Pôle Santé Travail Métropole Nord, représenté par son Directeur Général, Damien Vandorpe, « nous sommes déjà une entreprise à mission ». Même son de cloche pour Vincent Destot, Directeur Régional de Transdev qui vient de se doter d’une Raison d’Être : « Permettre à chacun de se déplacer chaque jour grâce à des solutions sûres, efficaces et innovantes au service du bien commun ».

Temps long, temps court, et si la valeur « temps » était le grand paradoxe de la société actuelle ? « J’aime cette dichotomie du temps long et du temps court. Ce que l’on dit des jeunes d’aujourd’hui, nos parents le disaient déjà de nous. Désormais, on ne recrute plus sur une feuille de paie mais sur le sens de l’entreprise, sur une mission qui correspond à la sensibilité et aux envies de la nouvelle génération. On ne peut plus manager comme avant, de manière pyramidale, il y a des adaptations nécessaires à réaliser en matière de management et de gouvernance. C’est ce que j’appelle l’évolution du temps long. Après, il y a une adaptation à la crise, c’est le temps court. Il y a 6 mois, qui a vu la guerre en Ukraine ? Qui a prévu la hausse de l’inflation ? Personne ! Aujourd’hui, nous devons piloter nos entreprises en tenant compte des évolutions à long terme et de la survenue d’événements brutaux, à court terme, qui viennent tout télescoper », poursuit Arnaud Delannay.

Jean-François Duyschaever, Directeur Général du Groupe VOG, revient un instant sur la pandémie. « Pour le monde de la coiffure, la crise de la Covid-19 a été le révélateur d’un certain nombre de dysfonctionnements qui impactent non seulement notre modèle économique mais également le métier dans sa globalité : crise du pouvoir d’achat, manque d’attrait de la profession auprès des jeunes, préoccupations écologiques, etc. Nous n’avions pas conscience de tout cela avant », affirme-t-il.

Toute décision est désormais accompagnée d’un plan B

La crise est aujourd’hui permanente et les dirigeants s’accordent à dire qu’il faut vivre avec. Et si c’était au fond un mal (nécessaire) pour un bien ? « Toutes ces crises actuelles, vos entreprises ont-elles appris à les anticiper ? », rebondit Quentin Druart. « Parlons-nous de la crise en tant que telle ou de ses conséquences ? », précise Damien Vandorpe. Le Directeur des services de santé au travail de la métropole lilloise poursuit : « Au début de la pandémie, nous avons dû faire comprendre à notre personnel soignant, les médecins du travail, qu’il était de notre devoir de maintenir l’activité. Des logiciels de téléconsultation ont rapidement été installés pour permettre les consultations à distance, une pratique qui n’était pas vraiment dans nos mœurs. Aujourd’hui, les médecins l’ont acceptée et nous avons décidé de maintenir systématiquement le dispositif à distance pour faire face, le cas échéant, à une nouvelle vague ou à une autre crise nous empêchant d’exercer correctement notre métier. Nous avons intégré de manière pérenne qu’il nous fallait dorénavant toujours un plan B. Voilà où se trouve l’innovation aujourd’hui : toute décision est désormais accompagnée d’un plan B ». Avoir le nez fin pour anticiper les crises, cela suffit-il ? « Je suis assez fier de dire que, dès 2018, nous avons lancé un programme de transformation de l’entreprise, qui s’accélère, aujourd’hui, à cause, ou grâce, à la crise sanitaire et surtout en prévision des crises à venir. Nous avons, aujourd’hui, conscience qu’il nous faut anticiper les crises de demain. Notre seul souci est : dans quelle mesure tout cela demeure compatible avec notre business model ? », s’interroge Jean-François Duyschaever.

Nous devons anticiper un basculement de paradigme

Les quatre dirigeants sont unanimes : l’incertitude actuelle et l’anticipation de la prochaine crise à venir sont, dorénavant, intégrées dans toutes leurs prises de décision. Déjà soumis à une forte pression réglementaire, le secteur du logement social doit ainsi constamment se projeter sur le long terme, tout en suivant une logique économique. « Nous devons sans cesse piloter nos activités en tenant compte des nombreuses évolutions réglementaires. Par exemple, la transition énergétique nous impose de passer au tout électricité après l’avoir abandonnée en faveur du gaz il y a quelques années ! Nous sommes sur des investissements hyper structurants, à très long terme, avec des conjonctures qui viennent se télescoper. C’est l’agilité de la réponse qui va permettre de nous adapter rapidement. Mais parfois une réponse hyper conjoncturelle sur des investissements à long terme peut s’avérer très risquée », nuance Arnaud Delannay.

« Notre crise est identifiée et elle est axée sur notre responsabilité sociétale. Maintenant, je pense aussi que nous devons anticiper un basculement de paradigme chez les jeunes générations qui seront nos futurs clients et peut-être même nos futurs salariés. Le changement est là ! », s’anime Jean-François Duyschaever. Damien Vandorpe a pour sa part toujours dirigé des entreprises fortement soumises aux évolutions réglementaires, ce qui l’a conduit à « rechercher systématiquement des poches pour plus de R&D, plus de souplesse et plus de numérisation car on y trouve là une partie de la réponse. Comment maîtriser le numérique pour être moins dépendant des risques physiques ? » interroge-t-il.

L’entreprise est-elle devenue le seul lieu où récréer du lien social ?

Anticiper un changement de paradigme, plus facile à dire qu’à faire ? « J’ai une certitude : je suis pétri d’incertitudes ! Et une angoisse, celle générée par le PRAF autrement dit : le Plus Rien A Foutre, je m’abstiens, je vis pour moi, je n’ai plus de repères. La fracture sociale est très forte. Dans ce contexte sociétal, quel est notre « commun » dans l’entreprise ? Le lien se perd, se délite, il devient la somme d’individus. », se demande avec lucidité Arnaud Delannay.

Cellule familiale éclatée, églises désertées, et si l’entreprise n’était plus que le seul lieu où recréer du lien social et faire vivre cette responsabilité sociale ? Pour Vincent Destot, l’entreprise doit en effet, et plus que jamais, jouer son rôle sociétal. « Les crises nous touchent individuellement et nous rassemblent aussi collectivement. Il y a une vraie crise sociale et démocratique dans notre pays, et l’entreprise dans tout cela ? Je suis convaincu qu’en tant qu’organisation, elle reste un facteur de cohésion nécessaire pour avancer et faire face aux crises. Je pense que les entreprises disposent, aujourd’hui, de nombreux leviers pour agir. Nous devons revenir à notre véritable rôle d’employeur », avance-t-il en prenant pour exemple Transdev Hauts de France dont la stratégie intègre depuis un an le RSE à 100%. « Le sens, c’est ce qui doit nous guider dans les prochaines années. En ce qui nous concerne, la mobilité est au centre de la société car elle donne un accès au travail, aux loisirs, à la formation, etc. La responsabilité sociale et sociétale du collectif, nous l’avons placée au cœur de notre projet d’entreprise et l’adhésion des salariés, les anciens comme les plus jeunes, est très forte », se félicite-t-il.

Damien Vandorpe va plus loin : « Pour moi, l’entreprise est encore un endroit où il y a une structure, un cadre, des instances représentatives, etc. Elle doit arriver à pallier les faiblesses de l’état, de l’université, de l’éducation, de l’échelon local. On doit être utile à cela ! », dit-il. Plus sévère, Arnaud Delannay regrette l’éphémérité de la société actuelle : « Ce qui nous structure, ce sont aussi nos engagements mais ils sont de plus en plus éphémères. Dans nos entreprises, on a de l’adhésion, de l’engagement mais qu’est-ce qu’il en reste au final sur le long terme ? ». Jean-François Duyschaever préfère quant à lui une vision plus optimiste des choses. « Le lien social se délite ? Je ne suis pas d’accord avec vous, je pense au contraire qu’un nouveau lien est en train de se créer et que nous devons l’apprivoiser. Les jeunes ont leurs codes, leur propre lien social qui fonctionne. Ce lien ne se délite pas, il change. Il est tout à fait normal que nous, anciennes générations, soyons un peu perdus ».

Coopération, agilité, vision stratégique

Quentin Druart aime être un tantinet provocateur. « Quel est, au cours de ces deux dernières années, votre plus grand regret de dirigeant ? », demande-t-il. Sourires complices, réponses sincères, en forme pour certains d’un mea culpa. On relève ici et là des doutes, un désaccord sur le moment avec la stratégie choisie, le réflexe de repli sur soi devant l’adversité, etc. « Je regrette d’avoir été trop mono-centré, de n’avoir pas été suffisamment à l’écoute de notre écosystème et notamment de nos partenaires. Nous avons été attentifs à la santé et à la sécurité de nos collaborateurs et de nos locataires, mais pas toujours assez envers ceux qui contribuent à la création de valeur. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus vigilant », confie Arnaud Delannay. Le Directeur Régional de Transdev fait quant à lui preuve d’une grande lucidité : « Avec la pandémie, nous avons perdu de nombreux voyageurs qui nous étaient fidèles. Je regrette de ne pas encore avoir su les faire revenir, de ne pas avoir pu transformer une crise en opportunité. Mais ce n’est pas perdu. Je crois en la coopération entre les entreprises, même dans des secteurs très différents, pour inventer de nouvelles solutions », assure Vincent Destot.

Coopération, agilité, vision stratégique, ces notions fondamentales embarquent plus que jamais nos dirigeants. « Ne pas travailler en vase clos, privilégier le co-développement, la fertilisation d’idées, la coopération, c’est là que se trouve la richesse. Nous sommes focalisés sur notre business, sur notre marché, sur la satisfaction client, etc. Or, c’est en allant piocher des idées ailleurs, en écoutant ce qui se passe autour de nous que nous enrichissons notre business », estime le Directeur Général du groupe Notre Logis 3F, rejoint par son homologue de Transdev qui se dit conforté « dans l’idée qu’on va ouvrir les champs de la coopération. Ces crises sont porteuses de problématiques communes qu’il ne faut pas chercher à résoudre individuellement. À nos échelles, nous avons un rôle à jouer et c’est ensemble que nous pouvons y parvenir ».

Au terme de deux heures d’échanges passionnants et passionnés, il est temps de conclure ce deuxième « Sharing Lunch » par ce qui est désormais une tradition : il est demandé à chaque participant d’exprimer son ressenti en un mot, un geste ou une image. « Très heureux », « confiant », « soulagé » et un grand « merci pour cette liberté de parole et de ton ! », véritable marque de fabrique de ces « Sharing Lunch » très appréciés de nos dirigeants. Rendez-vous en septembre pour une nouvelle édition…

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